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La voiture électrique : une « solution d’avenir »... depuis toujours

par Mata’i Souchon

Historique d’un échec

La voiture électrique est souvent présentée comme une solution d’avenir du fait de ses avantages évidents par rapport à la voiture à essence : elle ne pollue pas - ou du moins, pas à cause de sa consommation d’énergie -, est plus silencieuse, nous libère de la dépendance envers le pétrole, est prête à être fabriquée... Cette technologie existe en fait depuis longtemps : le premier véhicule électrique a roulé en 1835. En 1899, Jenatzy propulse sa « Jamais Contente » à plus de 100 km/h [1]. Depuis, certains constructeurs automobiles ont tenté de développer ce marché : en 1912, la production américaine annuelle de voitures électriques arrivait à 6000 unités. Rien qu’aux États-Unis, on comptait alors une vingtaine de fabricants qui avaient conçu près de 80 modèles différents de voitures électriques [2].

Pourtant il faut reconnaître qu’à l’heure actuelle la voiture électrique est loin de s’être démocratisée. Aujourd’hui, la plupart des gens circulent en voiture à essence, les bus de transport en commun roulent parfois aux agrocarburants  , mais les voitures électriques ne se trouvent quasiment qu’en entreprise, et non chez les particuliers. Comme nous l’avons vu dans la partie consacrée aux intérêts des industriels, la voiture électrique n’est pas aussi rentable à long terme que la voiture à essence et elle nuit à l’industrie pétrolière. Cependant, il existe aussi des raisons historiques.

L’électrique étant apparue avant la voiture à essence, cette dernière a donc dû supplanter la précédente. Elle avait pour cela un avantage décisif : son prix. En 1912, la plupart des voitures électriques coutaient entre 1800 et 3600 dollars. A titre de comparaison, une maison confortable valait alors aux alentours de 5000 dollars. Arrive alors la production en chaîne établie par Ford, permettant d’abaisser le prix de la Ford T de 850 à 600 dollars entre 1909 et 1912. En 1913, 180000 unités sont produites, dépassant largement la production de voitures électriques. De plus, alors que la voiture électrique attire alors principalement les femmes du fait de sa simplicité d’emploi, d’ailleurs mise en avant par la publicité (pas de manivelle à tourner pour le démarrage, pas d’embrayage, pas de projection d’huile ni d’odeur d’essence), la mise au point en 1911 du démarreur électrique de Charles Kettering redirige le public féminin vers la voiture à essence, plus rapide et plus autonome. [3] Publicité pour la voiture électrique, ciblant un public féminin

La Kriéger, voiture électrique clairement destinée aux femmes, avant l’invention du démarreur électrique. [4]

En 1913, les ventes de voitures électriques régressent et la quasi totalité des constructeurs font rapidement faillite. Elles resteront oubliées jusque dans les années 1960, où l’on commence à prendre conscience des dégâts infligés à l’environnement. Le graphique suivant montre bien le déclin de la production des voitures électriques dès 1913, le nombre de constructeurs en activité passant d’une vingtaine à seulement un ou deux.

En 1973, avec le premier choc pétrolier, des études émanant d’universités américaines prévoient une forte augmentation de la production et de la vente des voitures électriques, déjà qualifiée de « solution d’avenir ». Pourtant, malgré un second choc pétrolier en 1979, la production de voitures électriques reste insignifiante. De même, en 1990, la Californie adopte la loi ZEV (Zero Emission Vehicle) qui oblige les constructeurs automobiles à proposer à la vente 2%, 5% puis 10% (objectif pour 2003) de voitures électriques ou à payer une amende pour chaque véhicule manquant. La plupart des études prévoient alors la production mondiale de 10 millions de voitures électriques pour 2010. Les constructeurs conçoivent des modèles électriques, mais encore une fois, les ventes sont peu nombreuses et la production limitée. La loi est finalement abandonnée en 1996. Le graphique suivant montre la répétition périodique des prévisions de croissance du marché de la voiture électrique.

Quelles sont les explications possibles à cette éternelle stagnation ?

Les raisons avancées sont multiples. Globalement, il apparaît que la concurrence de la voiture à essence est toujours restée trop importante, cette dernière n’ayant jamais cessé de s’améliorer (augmentation de la puissance, baisse de la consommation par kilomètre et réduction des émissions). Celle-ci étant déjà répandue, des stations à essence se trouvent partout alors que les bornes de recharge électriques sont encore rares, même si la préexistence du réseau électrique faciliterait cette installation. De plus, alors qu’un plein d’essence ne prend que quelques minutes, la recharge d’une voiture à essence est plus longue, ce qui sous-entend la nécessité d’installer des bornes dans les parkings (pour les personnes vivant en appartement) et surtout de pouvoir patienter ou emprunter un autre moyen de transport pendant le temps de charge (plusieurs heures). Il a déjà été envisagé de proposer en station le remplacement de la batterie en quelques minutes, mais pour cela il faudrait que la batterie soit universelle et que la demande soit clairement visible avant que les distributeurs ne songent à investir dans ce système.

Par ailleurs, le prix de la voiture électrique est rédhibitoire par rapport à celui d’une voiture à essence : la batterie à elle seule peut coûter 20000€ pour une Golf Volkswagen (d’après une étude du cabinet Oliver Wyman [5]). Si celui-ci est par la suite compensé par le faible coût de l’électricité comparativement à l’essence, il apparaît que les consommateurs ne sont pas prêts à dépenser plus cher pour obtenir une voiture électrique, observant leurs dépenses à court terme. C’est ce qu’ont montré plusieurs études [6] : les consommateurs ne seraient prêts à acheter une voiture électrique que si celle-ci revenait 15% moins cher qu’une voiture à essence. De même, le Boston Consulting Group a estimé en 2009 que la voiture électrique ne serait compétitive que si le baril de pétrole se vendait à plus de 280 dollars (en ce début d’année 2010, il est à 80 dollars environ).

Quand la crainte du manque de performances l’emporte sur la bonne conscience écologique

Enfin, un argument apparemment étrange mais pourtant essentiel est la réticence psychologique des utilisateurs confrontés à une éventuelle décision d’achat d’une voiture électrique. Actuellement, les voitures électriques sont capables de subvenir à des besoins citadins (une dizaine de kilomètres par jour, et très rarement plus de 50 km). Une autonomie de 150 km devrait donc largement convenir. Quant au temps de recharge, une voiture restant en moyenne garée pendant 92% de sa vie [7], celui-ci ne s’avère apparemment pas être un obstacle. Pourtant, rien n’incite les utilisateurs à réfléchir de telle manière. Tout d’abord parce qu’il est dérangeant de payer plus pour un véhicule aux performances moindres (quand bien même celles-ci resteraient suffisantes), ou encore parce que l’on prévoit toujours l’éventualité d’un usage exceptionnel (long trajet le week-end, par exemple). L’éventualité d’une exception passe avant la certitude de l’usage quotidien, c’est ce que peuvent constater les fabricants de monospace : ils ont pu remarquer que les clients étaient prêts à payer un supplément important pour une fonctionnalité qui ne leur servira quasiment jamais : sièges extractibles, pivotants, coulissants… On envisage en effet toutes les situations possibles à l’usage, et non les besoins les plus récurrents. C’est ce que soutiennent Kahneman et Tversky [8] : devant une innovation, les consommateurs ont tendance à surestimer ce qu’ils perdent et sous-estimer ce qu’ils gagnent. Avec une telle façon de décider, on peut aisément comprendre que le silence de la voiture ou la bonne conscience de posséder un véhicule écologique ne peuvent compenser la perte d’autonomie ou le problème du temps de recharge, à moins que le coût soit réellement intéressant.

Depuis que la voiture à essence a dépassé la voiture électrique, cette dernière n’a jamais su redevenir une concurrente viable. Récapitulons les raisons de cet échec directement liées aux attentes des utilisateurs :
- Le coût : la technologie électrique est plus chère que celle de l’essence, or les utilisateurs basculeraient sur l’électrique si celle-ci leur revenait 15% moins cher.
- Les performances théoriques : après avoir possédé un véhicule capable de parcourir 1000 kilomètres sans faire de plein d’essence, les statistiques d’utilisations quotidiennes ne suffisent pas à faire admettre l’idée que 150 km d’autonomie quotidienne peuvent être largement suffisants la plupart du temps.
- Le rechargement : la différence est clairement observable sur un long trajet. Une voiture à essence peut être utilisée sans interruption pour faire le tour de la France sans difficulté, des stations se trouvent facilement le long du chemin et le plein d’essence se fait très rapidement. En revanche, une voiture électrique oblige le conducteur à trouver des stations de rechargement électrique, encore inexistantes en-dehors des villes, et à immobiliser le véhicule plus longtemps (au moins 20 à 30 minutes en station, et plus de 5 heures chez soi).

Conclusion

Dans l’état actuel des choses, si l’on espérait que la voiture électrique remplace l’essence, il faudrait au choix  :
- que la technologie électrique évolue jusqu’à rejoindre les performances de l’essence tout en conservant un prix inférieur à celui de l’essence (ou alors que celle-ci devienne excessivement chère, ce qui finira par arriver au vu de la raréfaction du pétrole), mais aussi que l’on installe des bornes de rechargement dans tous les parkings d’immeubles ;
- que l’on propose aux consommateurs des voitures hybrides à prix correct, par exemple l’alliage d’un moteur électrique avec un moteur fonctionnant aux agrocarburants   (solution rassurante pour l’utilisateur mais peu écologique, inévitablement plus chère qu’une voiture n’ayant qu’un seul moteur, et supposant la possibilité d’être alimenté en électricité et en agrocarburants  ) ;
- que, avant même la production des voitures électriques, l’on parvienne à établir une norme de batteries communes à tous les constructeurs, et que l’on implante des stations d’échange rapide de batteries aussi bien en ville qu’à la campagne (ce qui représente un énorme investissement) ;
- que l’on établisse un nouveau réseau de bornes de rechargement très dense, à l’aide du réseau électrique préexistant, tout en garantissant une autonomie suffisante pour aller d’une station à l’autre et un temps de recharge très réduit.

Source principale de l’article : document de février 2009 sur Les technologies éternellement émergentes de Frédéric Fréry, professeur à l’ESCP-EAP.

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L’éternelle émergence de la voiture électrique
Source : enseignement.polytechnique.fr

Notes

[1] http://ensmp.net/1899/jenatzy.html

[2] Shacket S.R. (1979), The Complete Book of Electric Vehicles, Domus Books, Chicago.

[3] Schiffer M.B. (1994), Taking Charge, Smithsonian Institution Press, Washington.

[4] Source : Luc Debraine (2009), Les voitures électriques.

[5] liberation.fr

[6] MacKenzie J.J. (1994), The Keys to the Car, World Resources Institute.

[7] Sperling D. (1995), Future Drive, Island Press.

[8] Gourville J.T. (2006), “Eager Sellers & Stony Buyers”, Harvard Business Review, juin, 99-106.